Cathédrale Saint-Étienne de Cahors – Historique
Étienne Baux
Seront ici rassemblés les textes des causeries diffusées sur Radio Présence Lot à l’occasion de la commémoration des 900 ans de la cathédrale organisée par le diocèse de Cahors. Ces textes s’attachent à replacer son histoire dans le contexte général de sa longue vie sans se limiter à la simple description des étapes du bâti architectural et du mobilier intérieur. Un colloque scientifique organisé par la Direction Régionale de l’Action Culturelle et la ville de Cahors a permis en septembre 2019 d’apporter des compléments et des rectifications à ce qui était partiellement connu. Ainsi doit apparaître le rôle éminent de cette cathédrale dans la vie religieuse mais aussi sociale du diocèse, c’est-à-dire du Quercy.
Sommaire
Avant la cathédrale
L’ensemble cathédral roman
Le décor sculpté
La rénovation gothique
Le décor peint
Une heureuse reprise
Rages et saccages
Reprise et transformations : XVIIe et XVIIIe siècle
Révolution
Un nouveau regard
Une cathédrale repensée
Le mobilier
Du XXe siècle à aujourd’hui
Conclusion
Bibliographie
Illustrations
I – Avant la cathédrale
Grâce aux données de l’archéologie et des textes on peut affirmer l’existence d’un groupe épiscopal paléochrétien sur l’emplacement d’un quartier résidentiel gallo-romain. Un premier édifice chrétien, avec la plus ancienne mention d’un évêque, vers 405, précéda les constructions attestées par les textes hagiographiques : la Vita de l’évêque Ambroise (VIe ou VIIe siècle), et celle de Saint-Didier (630-655), la Vita Sancti Desideri.
La première rapporte la présence d’une cellule jouxtant l’église, peut-être résidence de l’évêque. Mais c’est St Didier le principal bâtisseur. Cet évêque, pieux et cultivé, issu d’une riche famille aristocratique, fut également protecteur de la cité. Il sut la transformer et lui donner le premier ensemble cathédral structuré : d’abord l’«église majeure « dédiée à Saint-Étienne, puis la résidence épiscopale, à l’antique, en pierre de taille, comportant deux ailes avec des oratoires, des portiques et qui s’étendait jusqu’aux rives du Lot. Il fit également bâtir un logis des chanoines, un oratoire dédié à St Martin, un baptistère sans doute au nord de la cathédrale. Cet ensemble qu’il nous est difficile d’imaginer, perdura jusqu’à la fin du XIe siècle quand commencèrent les travaux de la cathédrale actuelle.
Entre les deux, quatre siècles et demi de silence, faute de sources. Les temps carolingiens sont marqués par l’emprise des laïcs sur l’Église, des spoliations, par la décadence du clergé souvent marié. Des chanoines trop nombreux, sécularisés, menaient une vie peu édifiante. Ils vivaient hors du chapitre, se répandaient dans le monde et se livraient aux exercices des armes. Comme ils appartenaient à des maisons nobles, ils se croyaient tout permis et n’assistaient que rarement aux offices. Les évêques appartenaient aussi aux premières familles du Quercy.
II – L’ensemble cathédral roman
Son apparition s’inscrit dans un contexte de renouveau à partir du milieu du XIe siècle. Partout des progrès agricoles, des populations plus nombreuses et mieux nourries, une première expansion urbaine, des échanges plus fournis ont créé un enrichissement général dont l’Église a bénéficié.
Au même moment l’Église connut une remise en ordre coordonnée par Rome pour se dégager des influences temporelles et retrouver la pureté de la fonction religieuse viciée par l’esprit de lucre et le désordre des mœurs. Cet effort se poursuivit pendant plus d’un demi−siècle et porte le nom d’un de ses principaux artisans, le pape Grégoire VII, la réforme grégorienne.
Dans cet esprit à Cahors, l’évêque Géraud réforma son chapitre. Les chanoines vivraient désormais comme des moines avec dortoir et réfectoire communs, vêtements identiques sous l’autorité de leur prieur, seul dispensateur des autorisations de sortie. Cela impliquait de nouveaux locaux organisés autour d’un cloître et des ressources régulières pour assurer la vie matérielle du chapitre réduit à trente chanoines. L’évêque Géraud, dans son testament en 1090, dota le chapitre de biens communs approuvés par le pape. Des récupérations de domaines usurpés, des dîmes reprises aux laïcs, des legs et donations dans un contexte d’enrichissement collectif, allaient permettre la construction d’une nouvelle cathédrale, chantier d’une tout autre envergure en lieu et place de celle de Saint-Didier, trop petite et menaçant ruine. La cathédrale Saint-Étienne fait donc partie de ces milliers d’églises romanes élevées en Occident pendant les XIe et XIIe siècles : ce « blanc manteau d’églises » selon l’expression célèbre du chroniqueur Raoul Glaber, mettant en œuvre des moyens matériels, humains et financiers considérables.
Les travaux commencèrent en 1109, sous l’épiscopat de Géraud de Cardaillac. La tradition veut que l’autel majeur ait été consacré en juillet 1119 par le pape Calixte II au retour du concile de Toulouse, sans que l’on dispose d’une preuve formelle de son passage à Cahors.
Quel était alors l’état du chantier ? On ne le sait pas davantage. Il s’acheva vers 1140, livrant un des chefs d’œuvre des églises à file de coupoles en Aquitaine. Saint-Étienne de Cahors, précédée par Saint-Étienne de la Cité à Périgueux et la cathédrale d’Angoulême, se caractérise par un vaisseau unique, couvert de deux coupoles, ouvrant sur une abside semi−circulaire à trois chapelles rayonnantes sans transept ni déambulatoire.
La nef en deux travées égales était flanquée par six piles de quatre mètres de large supportant les grands arcs sur lesquels les coupoles étaient assises. Leur hauteur, 32 mètres à la clé, demeura inégalée, tout comme la largeur de la nef.
Ces coupoles étaient sur pendentifs (triangles concaves qui permettent de passer du plan carré des piles au plan circulaire de la coupole). L’ensemble de cette architecture d’avant−garde offre une impression saisissante d’ampleur, de puissance monumentale mais aussi de légèreté.
La nef comportait donc deux travées couvertes chacune d’une coupole. La première était réservée aux fidèles qui y entraient directement par le portail nord, monumental, donnant sur la place centrale de la ville. La travée orientale et l’abside étaient réservées aux chanoines qui disposaient d’un accès par le cloitre au sud et à l’évêque qui pouvait entrer directement depuis son palais au nord. Un second portail au sud qui s’ouvrait également sur la première travée donnait sur une petite place.
Au flanc sud de la cathédrale un cloitre au même emplacement que l’actuel, était réservé au chapitre réformé. Tout autour, dortoir, réfectoire, et une tour (dont il subsiste un élément) complétaient le quartier des chanoines. Enfin, un tribunal, une officialité, car l’évêque a des pouvoirs séculiers sur sa ville, une école, la chantrerie, mais encore des bâtiments de service, greniers, cuviers, logis des domestiques formaient tout un quartier autour de l’église−mère. Elle reste à part dans la ville, on n’emploie jamais le mot de cathédrale, non plus une église de pèlerinage, pas plus que paroisse dans la ville (il y en a déjà six dans la ville au XIIe siècle). On n’y distribue pas de sacrements. Ce n’est qu’au milieu du XIIIe siècle que la cathédrale s’ouvrit davantage sur la ville avec la création de la place du marché.
III – Le décor sculpté
Il se concentre pour l’essentiel sur le portail nord. Comme à Moissac et à Beaulieu, il présente une sorte d’avant−corps abondamment sculpté et couronné d’une corniche. Au−dessus de la porte, le tympan réalisé autour de 1130−1140 associe l’Ascension du Christ et le martyre de Saint-Étienne en une remarquable transcription dans la pierre des textes du Nouveau Testament.
Le Christ dans sa mandorle, le Livre à la main gauche, le visage légèrement incliné, empreint d’une infinie douceur, est accueilli au ciel par quatre anges, tandis que deux autres annoncent, dans un mouvement d’une grande élégance, la certitude de son retour aux apôtres et à la Vierge Marie.
Ceux−ci sont disposés sous des arcades trilobées dans le registre inférieur et, pour certains, le visage tourné vers le Christ.
La singularité de ce tympan relève de l’association du martyre de Saint-Étienne au thème de l’Ascension en quatre registres latéraux. La profession de foi d’Étienne, sa lapidation et sa vision trinitaire sont en parfaite conformité avec le texte des Actes des Apôtres. Les mouvements des bourreaux dont Paul garde les vêtements, les expressions des visages rendent la scène avec beaucoup de vivacité.
Un décor sculpté se retrouve sur l’arc du portail en avant−corps avec des scènes profanes très animées : scènes de chasse, de travaux quotidiens, d’autres très cruelles. Ici, c’est la vie des hommes où règne le mal, avec des démons figurés sur la corniche.
Le portail sud, créé vers 1130 pour une entrée secondaire dans la travée réservée au peuple, est dépourvu de décor sculpté. Son arc central trilobé est d’une élégante sobriété.
IV – La rénovation gothique
A partir de 1280, d’amples travaux renouvellent l’aspect de la cathédrale. Cette rénovation qu’on peut qualifier de mise au goût du jour, s’est effectuée dans un climat de développement général. D’un côté les populations rurales, dans des campagnes mieux cultivées dont les surplus alimentent le commerce, de l’autre l’apparition de grands marchands dans les villes du Quercy, présents sur tous les grands foyers européens de leur temps : tel est le tableau de cette prospérité qui alimenta les chantiers. C’est le grand siècle cadurcien, de 1250 à 1350 environ, pour la ville qui déborde enfin au−delà du rempart de Saint-Didier dans la partie ouest du méandre et se dote de deux nouveaux ponts. Son consulat aux mains de l’oligarchie marchande, force le seigneur−évêque à partager le pouvoir. Climat également de ferveur religieuse avec la rénovation de deux églises, Saint-Urcisse et Saint-Barthélemy, et l’ouverture du chantier cathédral mené sans interruption de 1280 à 1324 par les évêques, Raymond de Cornil en particulier : chantier de grande ampleur qui fut financé par les contributions de toutes les églises du diocèse.
Plusieurs ateliers s’ouvrirent successivement. L’urgence réclamait la reconstruction du chevet roman dont la couverture menaçait ruine. Une abside gothique polygonale le remplaça. Par d’épais contreforts on soutint les grands arcs brisés de la voûte dont la clé représentait le martyre de Saint-Étienne. Les murs frontaux et latéraux reçurent de grandes verrières qui transformèrent le chœur en une couronne de lumière. La transition de ce nouveau chœur d’avec la nef à coupoles fut correctement traitée. Celle−ci reçut à la même époque deux chapelles latérales voûtées d’ogives sur le mur nord de la travée orientale réservée aux chanoines. L’une d’elles contient le tombeau de son fondateur, l’évêque Raymond de Cornil, portant son gisant. Sur le mur sud, dans la travée occidentale réservée aux fidèles, une vaste chapelle fut édifiée surmontée d’une rosace.
Dans cette rénovation gothique, c’est l’imposante construction du massif occidental qui a donné à notre cathédrale sa configuration actuelle. Édifié de 1308 à 1318, en grès foncé, contrastant avec le calcaire de la nef, il sert de porche et de clocher. Il réoriente l’entrée principale de la cathédrale dans l’axe de la nef donnant sur la place nouvellement créée. Le portail qui a perdu toutes ses sculptures présente encore des traces de polychromie. Il est surmonté d’une rosace inscrite dans un carré orné d’arcatures aveugles. Portail et rosace s’inspirent de modèles franciliens. La façade comporte en trois niveaux soulignés de deux cordons parallèles, eux−mêmes ponctués de personnages, visages et bustes surgissant du mur ou sur les ouvertures. Au sommet sur les trois tours prévues, seules les deux latérales furent terminées, laissant la tour centrale inachevée et coiffée plus tard d’un clocheton de briques d’une facture bien plus sommaire. Un grand comble, aujourd’hui disparu, reliait ce massif à l’abside, masquant les coupoles, il donnait une unité à tout le volume extérieur de la cathédrale.
A l’intérieur du massif le vaste porche est surmonté d’une grande salle, tandis que, sur les côtés, trois pièces superposées voûtées d’ogives, s’étagent sous chacune des deux tours. Elles offrent des clés de voûte aux visages auréolés de feuillages, des chapiteaux ornés de figures de même style que celles de la façade.
V – Le décor peint
Lors de la rénovation gothique tout l’intérieur de l’édifice reçut un décor peint qui fut badigeonné au XVIIIe siècle et redécouvert en partie au siècle suivant. Celui du chœur ne subsiste que sur la voûte, car sur les murs il fut complètement réinventé lors des restaurations de 1872. Sur le mur sud de la nef reste un fragment d’époque, avec dans un paysage architectural imaginaire quelques personnages : archer bandant son arc, chevalier porteur d’épée. Tout le reste a disparu.
Les coupoles reçurent leur décor entre 1316 et 1324 sous l’épiscopat de Guillaume de Labroue. Seul subsiste celui de la coupole occidentale. Il présente une composition radiale en huit compartiments où figurent chacun des huit prophètes de l’ancienne Loi. Ils se font face deux par deux : Jérémie et Isaïe, Ezéchiel et Habacuc, Esdras et Jonas, Daniel et David. Chaque figure atteint 4m50 de haut sous une arcature peinte.
Ces prophètes, hiératiques, s’ordonnent autour du médaillon central représentant le martyre de Saint-Étienne. 14 personnages en cercle, transposés dans la société contemporaine du peintre, s’agitent autour du saint..Certains, les chevaliers, jettent leurs pierres fournies par les manants qui grattent le sol pour les ramasser sous les ordres de Saul, le seul à être assis : scène à la fois réaliste et d’une extrême violence. Vu d’en bas l’ensemble produit un effet saisissant. C’est un des rares exemples de peinture monumentale gothique aujourd’hui connus. Il a été reproduit au musée des monuments français au palais de Chaillot. Les peintures de la coupole orientale aujourd’hui disparues représentaient d’après les chroniqueurs du XVIIe siècle, les premiers évêques de Cahors.
Le décor du massif occidental découvert en 1988 développe sur les murs latéraux et du revers de la façade un ensemble de grandes scènes illustrant en douze bandes horizontales la Genèse et le péché originel. D’une extrême qualité esthétique tant pour la représentation des personnages que celle de la faune du jardin d’Éden, elles n’ont jamais été retouchées, à la différence des décors précédents, ceux du chœur et de la coupole.
L’arrêt de tous les chantiers de cette rénovation gothique à partir du deuxième tiers du XIVe siècle s’explique à l’évidence par l’ouverture de ce qui sera le conflit séculaire entre les royaumes de France et d’Angleterre. Pour le Quercy, région frontière entre les deux, débute le temps des guérillas permanentes, de la déprise agricole, de l’arrêt des échanges mais aussi des épidémies ravageuses avec la Grande Peste et ses périodiques retours. Campagnes désertées, villes décimées –Cahors aurait perdu la moitié de ses habitants− tel est le tableau du Quercy jusque vers 1450 après que les Anglais l’ont quitté.
C’est dans ce contexte de misère qu’apparait en 1408, pour la première fois historiquement attestée, une référence à la Sainte Coiffe, insigne relique qui aurait couvert la tête du Christ mis au tombeau. De pieuses légendes ont entretenu son histoire antérieure, reprises jusqu’à aujourd’hui. On connait de nombreuses reliques christiques de la même époque de désarroi et de ferveur qui n’ont pas résisté à une analyse rigoureuse. A Cahors sa vénération s’est développée, sans qu’elle soit jamais installée dans la chapelle axiale, avec une première châsse en 1458. ▲
VI – Une heureuse reprise
La paix revenue, le Quercy se repeupla d’éléments voisins (Rouergats, Auvergnats, Limousins) et retrouva avec la reprise des travaux des champs et celle des échanges, une réelle prospérité. A Cahors, sous l’impulsion d’énergiques prélats toujours seigneurs de la ville, les travaux reprirent dans la cathédrale comme dans l’enclos canonial.
Antoine d’Alamand, élu par le chapitre en 1466 et évêque jusqu’en 1497, eut à cœur de rendre à la cathédrale son rôle et sa grandeur passée. Il réorganisa son chapitre de chanoines et, avec lui, grâce aux ressources générées par la paix lança les travaux. Il commença par réaménager le chœur en créant une nouvelle chapelle, celle que nous appelons chapelle profonde, qu’il plaça sous le vocable de la Vierge immaculée et consacra avec faste en 1484. Voûtée d’ogives, son décor sculpté présente une grande originalité : roses épanouies, soleils flamboyants, lis et lunes. Il a été très altéré aux siècles suivants. Sur les voûtes des étoiles d’or peintes sur fond d’azur.
C’est lui qui lança l’idée d’un nouveau cloitre en remplacement de l’ancien, roman, sans doute bien dégradé, selon l’esthétique nouvelle du gothique dit flamboyant : un long chantier qui traina de 1493 à 1553, souvent interrompu. Les murs romans furent préservés, tandis que les galeries étaient entièrement reconstruites. Les voûtes d’ogives développent leurs faisceaux de nervures (liernes et tiercerons) particulièrement savants.
Les dais aux retombées des nervures, les pinacles décorés de personnages ou d’animaux fantastiques, les accolades surchargées témoignent d’une parfaite technique des bâtisseurs. Au flanc nord, des scènes anecdotiques d’une grande fantaisie : moines, musiciens, pèlerin. Seule une très belle Vierge de l’Annonciation témoigne de la statuaire de cette fin du gothique dans le cloitre. Ni le successeur d’Antoine d’Alamand de Luzech, en 1497, ni les évêques Carretto n’achevèrent le chantier : un étage supérieur prévu ne fut jamais construit.
Au flanc est du cloître, à l’emplacement de l’ancienne salle capitulaire, fut édifiée de 1497 à 1502 la chapelle du Saint Esprit que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Saint Gausbert qu’on lui attribua au XIXe siècle. Entièrement peinte à l’origine, sa restitution date des années 1970. Sur les voûtes, les instruments de la Passion entourent les quatre docteurs de l’Église : St Grégoire, St Augustin, St Ambroise, St Jérôme. Aux murs latéraux, partiellement effacés, on distingue assez mal, à l’est, un St Sébastien invoqué en temps de peste et une Annonciation ; à l’ouest, un jugement dernier avec le Christ trônant sur un arc−en−ciel entouré de la Vierge Marie et de St Jean Baptiste.
Il désigne de sa main un Paradis, effacé, sur le mur du fond. A ses pieds la résurrection des morts dont les âmes sont pesées par St Michel : à sa gauche, l’entrée de l’enfer et de ses supplices. Pour ces derniers, l’usure du décor n’a laissé que les tracés préparatoires.
Un dernier témoin de cette campagne de construction qui s’achève au milieu du XVIe siècle est connu sous le nom d’archidiaconé, logis de l’archidiacre chargé de la gestion du clergé. Il se compose de deux corps en L bâtis dans les années 1520−1540, et d’une cour fermée à l’origine par un mur. Son originalité tient à son style Renaissance en complète rupture avec celui du cloitre et des autres bâtiments. L’entrée du logis se signale par un décor très italianisant : pilastres, rinceaux, bustes en médaillons. On peut voir dans ce goût nouveau l’influence des évêques italiens, les deux frères Carretto, qui occupèrent successivement le siège de Cahors de 1514 à 1553.
Ainsi au milieu du XVIe siècle l’enclos canonial a atteint sa plus grande extension. Auprès de l’évêque une centaine de clercs affectés aux tâches ordinaires et extraordinaires, bien plus que dans tout le diocèse aujourd’hui, et la cohorte de serviteurs formaient une véritable ruche dans ce vaste espace de part et d’autre de la cathédrale jusqu’au Lot. On n’en soupçonne guère l’existence aujourd’hui. Pourtant une partie des bâtiments a subsisté, ce qui est rare au cœur des villes épiscopales donnant les noms que nous utilisons aujourd’hui : grenier du chapitre, cour de l’archidiaconé, rue de la Chantrerie.
Parfois dans la cathédrale, le plus vaste espace couvert de la ville, se tenaient des événements d’ordre social ou politique. On peut donner comme exemples la présentation d’une nouvelle monnaie par l’évêque seigneur de la ville, les solennités académiques après la création de l’université en 1332, le serment à la couronne d’Angleterre en 1361 après le désastreux traité de Brétigny qui livrait le Quercy aux Anglais…
VII – Rages et saccages
Le siècle de reconstruction et de prospérité de 1450 à 1550 environ s’achève avec les troubles engendrés par le mouvement de la Réforme qui dégénéra en un combat fratricide entre chrétiens, connu sous le nom de guerre de religions.
En Quercy les aspirations à la Réforme trouvèrent un large écho : des évêques étrangers, un bas clergé ignorant et rapace, le déclin de la vie monastique ont nourri critiques et volonté de changement. A l’université de Cahors la critique humaniste des abus de l’Eglise rallia les milieux cultivés. En 1540 un professeur fut arrêté pour hérésie, et en 1543 Antoine Soulié fut brûlé vif et sa langue coupée. L’offensive calviniste vers 1560 ouvre un cycle de violences. La statue de Notre Dame fut brisée au couvent des Chartreux envahi par 300 personnes. Le carillonneur de la cathédrale, logé dans le massif occidental, fut tué d’un coup d’arquebuse tiré depuis une maison notoirement protestante. Le 16 novembre 1561 une assemblée réformée dans la rue des Soubirous fut agressée et massacrée avec plusieurs pasteurs. L’évènement fit grand bruit au−delà même du royaume et décapita le parti protestant faisant de Cahors un bastion catholique. Après la St Barthélemy en 1572, les Réformés avec Henri de Navarre, futur Henri IV, investirent les villes de Figeac, Souillac…. Le Quercy semblait sur le point de basculer et le destin des forces catholiques dépendait de la résistance de Cahors. La ville fut forcée dans la nuit du 28 mai 1580 et au terme de cinq jours d’atroces combats fut mise à sac et la cathédrale pillée. C’est alors que la châsse d’argent de la Sainte-Coiffe fut enlevée, tandis que la relique aurait été récupérée par une pieuse femme et conservée à Luzech par le chapitre qui s’y était réfugié.
Cette victoire resta sans lendemain, Cahors fut rendue aux catholiques par une énième paix signée à Paris mais la ville ne se remit jamais totalement de cette tragédie. Une grande cérémonie de purification fut décrétée pour effacer la profanation de la cathédrale.
La paix fut longue à revenir. Les évêques ne résidaient que très peu en ville, préférant pour leur sûreté leurs châteaux de la vallée. Cette absence suscitait les plaintes du peuple et ce n’est qu’en 1598 avec l’édit de Nantes qui organisait la coexistence entre les deux confessions, que l’évêque put faire sa rentrée dans sa ville. Le Quercy était ravagé et dépeuplé et des révoltes paysannes issues de la misère accrurent encore la désolation. ▲
VIII – Reprise et transformations : XVIIe et XVIIIe siècles
Il faut attendre 1636 avec l’arrivée d’Alain de Solminihac au siège de Cahors pour que la volonté de la reprise catholique devienne réalité effective. Il réforma son clergé, rétablit la dignité du culte et refit de la cathédrale le pivot de la vie religieuse en Quercy par la régularité des offices et des solennités, la reconstitution du chapitre. Pas de grands travaux, faute de moyens. Avant lui, l’évêque Siméon de Popian avait commandé 104 stalles pour rénover le chœur qui s’étendait jusqu’au milieu de la première travée. Lui−même reconstitua le mobilier et les vases sacrés, commanda plusieurs tableaux dont celui de Charles Borromée, l’archevêque de Milan, son modèle, grand artisan de la Réforme catholique. Après lui, la chapelle profonde reçut un retable en bois doré, architecturé, réalisé entre 1679 et 1681 par Gervais Drouet, l’auteur du retable de la cathédrale de Toulouse, et voué à la gloire de la Vierge. Le tableau central de son Assomption, surmonté par la statue de l’Immaculée Conception, s’inscrit entre deux bas−reliefs représentant St Joseph et St Joachim.
Mais ce n’est qu’au siècle suivant que notre cathédrale connut à nouveau travaux et transformations. La paix intérieure retrouvée, l’ordre monarchique, de plus amples ressources le permettaient.
Un évêque amateur d’art et d’architecture, Henry Guillaume Le Jay, voulut un palais épiscopal digne de ce nom. Il lança sa construction selon le bel ordre classique de 1681 à 1701. Son successeur la compléta par deux ailes formant cour et un grand escalier d’honneur. A l’intérieur de la cathédrale, il fit élever un jubé de marbre, entre la nef et le chœur. Mais c’est Mgr de la Luzerne, au cours de son long épiscopat (1693 – 1741) qui eut à cœur de « moderniser » la cathédrale.
Un nouvel autel en marbre rouge de Caunes en Languedoc remplaça l’ancien en 1706, tout comme celui qui fut installé dans la chapelle de la Sainte Coiffe au flanc nord de l’abside. En 1714 les galeries supérieures du pourtour de la nef s’ornèrent de balustrades en marbre et en 1734 la première travée de la nef sur le mur nord reçut une tribune réservée aux chanoines du même marbre. Nous la voyons telle quelle aujourd’hui alors que les autels, le jubé, les balustrades ont disparu. Le bénitier et la chaire du même marbre sont toujours là. Pour mettre en valeur ce nouvel ensemble décoratif, l’évêque décida de badigeonner de blanc les murs, masquant ainsi les peintures gothiques. Quelques années plus tard en 1773, les peintures des coupoles jusque−là épargnées subirent le même sort et l’on rehaussa les arêtes de tous les arcs d’un filet gris.
A l’extérieur le portail nord fut muré avec son tympan, la tribune des chanoines l’ayant condamné de l’intérieur. Tout cela prouve le peu de cas que l’on faisait alors de l’art que l’on appela gothique, c’est−à−dire barbare.
IX – Révolution
A la fin du XVIIIe siècle, notre cathédrale offrait ainsi un aspect bien différent de l’actuel. Avec une rapidité confondante l’ordre multiséculaire du royaume très chrétien disparut.
L’ouverture aux réformes révolutionnaires fut vécue au début dans l’enthousiasme y compris par la majorité du clergé, mais bien vite un divorce apparut entre le nouveau régime et le monde catholique. La saisie des biens du clergé, son nouveau statut qui bouleversait l’organisation et la structure de l’Eglise, entrainèrent une scission entre Constitutionnels et Réfractaires. Le nouvel évêque, élu, Jean Danglars, irréprochable, ne rallia pas la moitié des fidèles.
Dans la cathédrale, le recensement des vases sacrés et des ornements accrut les passions. Le jubé de marbre fut détruit et le chapitre supprimé. Lorsque la Révolution se radicalisa du fait de la fuite du roi et de la guerre, puis de la chute de la monarchie, la répression s’accrut contre le clergé suspecté d’hostilité à la République. Elle culmina avec la Terreur : 67 prêtres furent conduits vers les pontons de Bordeaux, beaucoup y moururent. Trois furent guillotinés, deux à Paris et le dernier à Cahors en septembre 94 : martyrs de la foi.
A Cahors six paroisses sur neuf ferment. La cathédrale devient église paroissiale, ce qu’elle n’avait jamais été. Une nouvelle étape s’ouvrit avec la déchristianisation, le calendrier républicain avec ses décades, imposa l’abandon du dimanche sous peine de sanctions. Comme les autres églises, la cathédrale fut dépouillée au profit de la nation. L’ordre arriva le 4 juin 1793 de s’emparer des cloches destinées à fondre des canons. D’abord enthousiaste, la municipalité n’enleva que deux petites cloches sur le bel ensemble campanaire muet désormais. Par contre elle saisit les vases sacrés, les objets de cuivre et de bronze, les tissus brodés d’or et d’argent. Un fripier à Cahors vendit le linge et les tapis. Le cloitre fut martelé de tout ce qui pouvait rappeler l’ordre ancien. En novembre 1793, la fermeture des églises est décidée à Paris, effective pour la cathédrale le 11 décembre.
Sur les ruines du christianisme, les révolutionnaires ont cherché à imposer des cultes civiques et républicains. En mars 1794, la cathédrale rouvrit ses portes, transformée en temple de la Raison et de la philosophie, « seul culte d’un peuple libre ». Des cérémonies décadaires s’organisèrent avec des homélies républicaines, une exaltation des grands hommes et des succès aux armées, sans grand succès populaire. Un nouveau culte officiel, celui de l’Être Suprême, se déroula à Cahors à l’extérieur de la cathédrale. On se contenta de peindre sur sa façade une inscription longtemps visible : « Le peuple français reconnait l’existence de l’Être Suprême et de l’immortalité de l’âme ». L’arrêt de la Terreur en juillet 94 mit fin à tout cela et le 21 février 1795 le culte chrétien, sans publicité, pouvait reprendre, à Cahors dans la seule cathédrale.
Sous le nouveau régime, le Directoire, on constate d’abord, en 1797, une véritable renaissance de l’Église avec la convocation d’un concile national à Paris en vue d’une réconciliation générale. A Cahors un synode diocésain s’ouvrit pour y désigner un député. La messe solennelle de clôture du synode dans la cathédrale, présidée par Mgr Danglars réunit 133 prêtres. Au cours des années 1798−1799 la politique anticléricale reprit. Elle ne cessa qu’avec le coup d’État de Napoléon Bonaparte et l’avènement de son pouvoir personnel.
Ces dix années comptent pour notre cathédrale parmi les plus sombres de son histoire : saccages, profanations, fermeture, destruction et vente de l’enclos canonial. Il fallait reconstruire.
X – Un nouveau regard
La cathédrale ne retrouva officiellement sa dignité et sa vocation qu’avec le Concordat de 1801, traité entre le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, soucieux de pacification religieuse et le Pape Pie VII. Le catholicisme désormais reconnu, avec un évêque par département, l’unification du clergé, non sans mal, la publicité du culte ont été reçus avec joie par la grande majorité des Quercynois, très attachés au fond à la religion traditionnelle.
Le nouvel évêque, Guillaume Balthazar Cousin de Grainville eut à reconstruire, à panser les plaies de la persécution. De grandes cérémonies expiatoires furent célébrées et une nouvelle consécration effaça tous les outrages subis au cours des années tragiques. Des vases sacrés, des reliquaires cachés jusque−là reprirent leur place. L’évêque, très respecté, reconstitua son chapitre et entreprit de racheter les bâtiments autour de la cathédrale qui avaient été aliénés, sauf évidemment son palais épiscopal devenu préfecture. Personnage officiel, rétribué par l’État comme l’ensemble des curés et vicaires, il participait à la vie du département. A la cathédrale, après la proclamation de l’Empire, on priait pour l’empereur comme autrefois pour le roi, on célébrait une Saint Napoléon, arbitrairement fixée au 15 août.
Ce XIXe siècle qui commence dans un climat enfin apaisé va être pour la cathédrale un siècle de transformations majeures qui relèvent elles−mêmes d’un changement des mentalités. Le siècle précédent affichait un réel mépris pour l’art médiéval et l’on s’était évertué à en masquer les œuvres. Au contraire, très vite, le Moyen Age revint à la mode. Le gothique fut réhabilité et la recherche archéologique se développa avec l’appui de l’Etat. En 1824 le ministère des cultes demanda à l’architecte départemental Billoin d’évaluer les besoins de la cathédrale. On lui doit son premier plan. En 1830, avec la création de l’inspection générale des monuments historiques fut dressée la liste des monuments à préserver. Notre cathédrale n’y figura pas. Un événement majeur survint en 1840 : la redécouverte du portail nord et de son tympan par Calvet, inspecteur des monuments historiques du Lot, à qui l’on doit la première étude complète de la cathédrale. Masqué par un mur élevé en 1732, il était complètement oublié. Lors d’un travail de sondage en arrière de la tribune de marbre, il relata sa découverte : « quelles furent ma surprise et ma joie lorsque je parvins dans un réduit encombré de planches, de débris et de saletés, mais contenant des tableaux (c’est−à−dire des représentations) et sculptures qui n’ont d’analogues que dans le portail de Moissac… ». A l’extérieur, le portail demeura encore muré mais sa découverte fut le moteur de deux années d’effervescence autour du monument.
En 1842, les Cadurciens accueillirent Viollet le Duc déjà bien connu pour son projet de restauration de Notre Dame de Paris. Son avis très attendu déçut beaucoup. Malgré son intérêt il jugea la cathédrale « confuse et terminée dans aucune de ses parties » et constata l’impossibilité de lui adapter un « système complet de restauration ». Il proposa seulement de l’entretenir. On retrouve là sa conception de la restauration qui doit donner à un monument une unité, au prix parfois de véritables reconstructions comme ce fut le cas pour la cathédrale d’Angoulême et pour St Front à Périgueux. Cette prise de position coupa court pour un temps à l’intérêt archéologique qu’avait suscité la découverte de Calvet. Cependant l’architecte diocésain, Paul Abadie, proposa en 1851 de dégager les coupoles du toit qui les masquait, ce que l’autorité refusa formellement. On lui doit surtout en 1862 l’enlèvement du mur qui masquait le portail nord visible désormais de l’extérieur. L’inscription du cloitre et de la cathédrale à l’inventaire des monuments historiques fut enfin décidée en 1862.
XI – Une cathédrale repensée
Les cinquante années suivantes furent celles d’une spectaculaire transformation qui aboutit peu ou prou à ce que nous voyons aujourd’hui. Tout changea d’abord avec l’arrivée d’un nouvel évêque, Pierre−Alfred Grimardias dont l’épiscopat dura 30 ans de 1866 à 1896. Il manifesta d’emblée un grand intérêt pour l’édifice où il officiait, à l’inverse de ses prédécesseurs beaucoup plus soucieux du sanctuaire de Rocamadour. Il appuya avec force les nouveaux projets, parfois les devança, subventionnant lui−même une partie des travaux. On trouve en maints endroits son blason personnel : trois cors de chasse disposés en triangle autour d’une étoile sur fond rouge.
D’abord le réaménagement du chœur. On le débarrassa de l’énorme autel en marbre pour un nouveau, consacré en 1872 plus élancé, en pierre sculptée et polychrome, dans ce style néogothique que l’évêque déploya sous toutes ses formes et sur tous les supports, y compris dans le mobilier en cohérence à ses yeux avec l’architecture médiévale.
Dans cet esprit, une clôture en fer forgé réalisée dans les ateliers du serrurier cadurcien Lestrade, et surmontée de dix anges en bois doré, remplaça les balustrades en marbre rouge qui entouraient le chœur. Huit d’entre eux tiennent les instruments de la passion, les deux autres, face à la nef, ont les ailes déployées et portent lance et bouclier.
Au chevet, les trois absidioles furent réhabilitées et la chapelle axiale entièrement reconstruite. Sous le chœur, il fit creuser une crypte funéraire pour la sépulture des évêques passés et à venir. Lors des travaux du chœur on retrouva son décor médiéval très endommagé. Aussi les murs et la voûte furent entièrement repeints par Cyprien−Antoine Calmon qui inventa plusieurs scènes historiées purement légendaires ; Charlemagne recevant la Sainte Coiffe, St Martial à Rocamadour, Saint-Génulphe premier évêque de Cahors baptisant Dioscorus gouverneur de la ville.
La mise en place de nouveaux vitraux en 1873 acheva la restauration du chœur. C’est un ensemble homogène, commandé par l’évêque à Joseph Villet, maître verrier de Bordeaux, illustrant la vie du Christ, de la Vierge et des saints locaux, les martyres d’Étienne et de Spérie… Il s’est fait lui−même représenter tenant la maquette du vitrail central.
Dans la nef, Mgr Grimardias recréa les décors des chapelles du mur sud vouées au culte de la Sainte Famille très populaire au XIXe siècle. Dès 1867, C. A . Calmon restaure celle de St Joseph, refait les peintures derrière l’autel de pierre qu’il avait lui−même sculpté. En 1870 il repeint entièrement la chapelle de la Vierge avec la scène de son couronnement repris de Fra Angelico.
Dix ans plus tard, il est chargé de la chapelle du Sacré−Cœur, il en dessine l’autel et la statue. En arrière le mur à fond d’or, tel une mosaïque byzantine, met en scène le Christ assis en majesté entouré de deux personnages se prosternant à ses pieds selon un modèle du célèbre peintre Hippolyte Flandrin, allégorie des peuples de la terre venant adorer le Christ.
La restauration de la toiture s’avérait urgente. Paul Abadie devenu inspecteur des monuments historiques proposa, en 1874, de refaire à l’identique la toiture à deux versants qui, sur de vastes combles, masquait les coupoles depuis le 14e siècle. Mais alors que le chantier allait s’ouvrir, le ministre en 1875, donna l’ordre de supprimer les combles et de mettre les coupoles à jour. Cette décision était due à la pression de la population locale emmenée par Mgr Grimardias et le nouvel architecte diocésain, Tourette. Tous les deux étaient partisans de ce style « romano−byzantin » qui s’imposa à Périgueux, à Angoulême, comme au Sacré Cœur de Paris. Les travaux s’achevèrent en 1879. Il en coûta 114 000 francs avec des coupoles revêtues d’ardoise. La cathédrale y perdit son unité extérieure, ce que l’on peut regretter. Elle offrait désormais ce que nous avons sous les yeux : la juxtaposition des styles roman et gothique.
En 1886 reprennent les travaux, à l’intérieur cette fois. Paul Abadie ayant constaté une dégradation de l’enduit qui recouvrait les deux coupoles, on décida de l’enlever à commencer par celle de l’ouest en 1890. Au vu de cette découverte merveilleuse, on confia la restauration à Marc Gaïda, artiste reconnu qui avait travaillé dans plusieurs cathédrales, avec mission «surtout de ne pas les restituer» et non à C. A. Calmon restaurateur combien abusif des peintures du chœur. Ainsi revivait l’œuvre la plus spectaculaire de notre cathédrale reproduite à Paris au musée des monuments français. Par contre on ne put conserver les peintures de la coupole orientale trop détériorées. Dernier objet de travaux, après tous ceux de Mgr Grimardias, le portail nord fut nettoyé et consolidé de 1908 à 1913. Les roses de pierre visibles aujourd’hui sur toute la hauteur de l’avant−corps ont été ajoutées à ce moment−là bien abusivement.
On ne saurait conclure cette période d’intenses travaux sans invoquer le changement profond que vécut le catholicisme français jusque−là officiellement reconnu. Il fut l’objet, à partir des années 1880, d’une méfiance puis d’une hostilité déclarée qui aboutit en 1905 à la séparation des Églises et de l’État.
Pour notre cathédrale cela ne changea rien puisque, comme toutes les autres, elle était propriété de l’État. Cependant la loi prévoyait un inventaire des biens mobiliers avant de les transmettre à des associations de catholiques. L’évêque, Mgr Enard, protesta mais recommanda de ne pas s’opposer aux fonctionnaires chargés de l’inventaire. Le 24 janvier 1906, ils se présentèrent devant le grand portail accueillis par le vicaire général qui lut la protestation, puis ils entrèrent. La question la plus délicate concernait les vases sacrés qui conservaient les hosties consacrées, pour les catholiques présence de Dieu parmi les hommes.
On ne pouvait les laisser tels quels aux mains des agents de l’État qui parcouraient la cathédrale en tous sens, une feuille de papier et un crayon à la main. Avant même les opérations, le Saint Sacrement avait été porté à l’extérieur dans un reposoir. Une fois terminées, un salut solennel de réparation fut célébré lors de la rentrée du Saint Sacrement.
XII – Le mobilier
Il comprend les objets voués au service du culte, à l’ornement des autels, les vêtements sacerdotaux, les reliquaires. Il se complète par les tableaux et les statues. On ne saurait ici en donner une description complète mais en indiquer la provenance, héritage des siècles.
Les objets médiévaux sont peu nombreux, victimes du saccage de 1580. Ceux que l’on pouvait voir exposés dans la chapelle St Gausbert il y a quelques années, on les doit à l’ouverture des sépultures d’évêques : deux crosses du 13e siècle appartenant à Guillaume de Cardaillac et Pons d’Antéjac. La première, de facture encore romane, représentant une sirène et un animal fantastique, la seconde l’Annonciation et la Visitation : superbes ouvrages des ateliers d’orfèvrerie de Limoges. S’y ajoutent deux plaques de gants émaillées et l’anneau épiscopal de Raymond de Cornil.
Aux 17 et 18e siècles fut reconstitué l’ensemble des objets du culte et des ornements par Alain de Solminihac et ses successeurs. La Révolution les dilapida : il demeure quelques reliquaires. Après la tourmente, sur le modèle roman et gothique, les évêques en commandèrent beaucoup, notamment aux ateliers du quartier St Sulpice à Paris : objets bien repérables sur les autels, crucifix, chandeliers disponibles sur catalogue. L’orfèvrerie précieuse ne disparut pas ; on la retrouve dans les ostensoirs, soleils rayonnants dont le centre offre à l’adoration des fidèles l’hostie consacrée, mais aussi dans les vases sacrés.
La Sainte-Coiffe présentée au 18e siècle dans une chapelle du St Suaire restaurée en 1733 par Mgr de la Luzerne perdit son reliquaire pendant la Révolution. Un nouveau, réalisé en 1825, recouvert d’argent, sous la forme d’un petit temple à quatre colonnes existe toujours. De petite taille, il ne permettait pas de voir la relique. Aussi en 1899, soucieux de ranimer ce culte, Mgr Enard bénit en grande pompe le reliquaire que nous connaissons aujourd’hui et le plaça dans la chapelle axiale : de plus grande taille, en bronze doré et de style néogothique. La relique est exposée dans un cylindre de verre fermé par un dôme doré. A la base, Charlemagne, Calixte II et Saint Didier.
Des tableaux retiennent plus particulièrement l’attention : Saint-Étienne et sa vision, Charles Borromée et François de Sales, modèles de la Réforme catholique, les tableaux liés au culte marial de la chapelle profonde.
La grande sacristie a accueilli les portraits des évêques depuis l’origine du diocèse. C’est Mgr Le Jay, évêque de 1680 à 1693, qui initia cette collection avec des portraits « imaginés d’après leur caractère » pour ceux des premiers temps, et que ses successeurs complétèrent jusqu’à aujourd’hui : 87 au total.
XIII – Du XXe siècle à aujourd’hui
Ce siècle a parachevé et enrichi les travaux spectaculaires du précédent. D’autant mieux qu’en 1913 la loi sur les monuments historiques faisant la synthèse des lois précédentes, a fixé le régime actuel de protection dont notre cathédrale et ses abords ont bénéficié.
Le 11 novembre 1918 à 13 heures les cloches de la cathédrale annoncèrent aux Cadurciens la fin des combats. Mgr Giray récemment nommé évêque du diocèse présida le dimanche 17 un Te Deum d’action de grâces. Dans la première chapelle de la nef, côté nord, on plaça le monument aux morts. Les noms des enfants de Cahors gravés dans le marbre occupent la partie centrale d’un retable du 18° siècle. En avant Jeanne d’arc, en armure, serre sur son cœur un étendard doré. Celle qui sauva la patrie en son temps venait d’être canonisée.
De notables chantiers s’ouvrirent dans la seconde moitié du siècle. Sur la coupole ouest victime d’infiltrations il fallut à plusieurs reprises effectuer des retouches. Lorsque la commission diocésaine d’art sacré décida d’installer un musée dans la chapelle St Gausbert, les travaux révélèrent le décor peint déjà décrit. Le peintre Nicaud le restaura jusqu’en 1965 et le musée s’ouvrit au public en 1972. On pouvait y admirer les objets médiévaux, des pièces d’orfèvrerie, des reliquaires dont ceux de la Sainte Coiffe.
En 1975, Maurice Faure, maire de Cahors, décida de participer au financement du nouveau programme de rénovation, à commencer par celle de l’orgue placé en 1722 au−dessus du porche. Le célèbre facteur d’orgue Stolz l’avait rénové à la fin du 19˚ siècle. On le dégagea des parties latérales alors ajoutées pour lui redonner son aspect primitif : ainsi la lumière de la grande rosace pénétra à nouveau dans la nef. Un nouveau jeu de tuyaux fut ajouté à l’arrière, regroupé dans un buffet de lignes contemporaines : superbe réussite à la fois fonctionnelle et esthétique.
Au même moment furent ouverts deux nouveaux chantiers, ceux des portails sud et nord. Une fouille archéologique précéda la restauration du premier qui permit de retrouver l’emmarchement primitif, jusque−là enterré, et sa réouverture au public. Avant 1991 le portail nord n’était visible qu’en contrebas de la chaussée depuis une grille. Les fouilles en avant du portail ont révélé les vestiges du premier palais épiscopal, des fragments de murs antiques et un ensemble de sépultures que les Cadurciens ont découvert avec beaucoup d’étonnement.
Le niveau de la chaussée a été abaissé pour redonner au portail toute son élévation d’origine et aussi son utilité avec l’ouverture des portes en 1996, jusque–là murées. Le tympan a été consolidé.
La chapelle axiale a été couverte en 2016 par une demi−coupole d’ardoise et de plomb. En 2017 les charpentes du clocher révisées et consolidées, ont leur couverture entièrement refaite en tuiles plates et en cette année 2020 s’achève le ravalement des deux clochetons qui flanquent l’abside et des balustrades qui la couronnent.
A l’intérieur, cette fois, l’époque immédiatement contemporaine est riche en transformations. A commencer par les modifications du chœur. Le concile Vatican II a promu une plus grande proximité des célébrants avec les fidèles. Dans cet esprit le maître−autel en pierre de Mgr Grimardias a été remplacé par un autel en métal, grande table posée sur une arche, lui−même remplacé par l’autel actuel repris dans le mobilier du 19˚ siècle. La table de communion a logiquement disparu avec les nouvelles pratiques de distribution de l’Eucharistie.
Les transformations les plus spectaculaires cette fois portent sur un ensemble de vitraux sur les onze baies et sur une rosace, jusque−là fermées par des verres blancs mis en place dans les années 1930–1950. Ils dispensaient une lumière crue qui contrastait avec les vitraux du chœur. Pour donner plus d’unité à l’ambiance lumineuse de la cathédrale, l’Etat propriétaire a lancé un concours qui retint en 2011 l’artiste Gérard Collin−Thiébaud et le peintre verrier Pierre−Alain Parot. Le traitement figuratif des vitraux était un impératif, tournant le dos à l’abstraction souvent employée dans l’art du vitrail. Le thème retenu, celui de la vie du Christ à travers les quatre évangélistes. La technique de la superposition d’images permet d’associer les thèmes religieux à des représentations empruntées à la peinture, la sculpture, l’architecture (celle de Cahors parfois) ou encore des portraits de contemporains. L’ensemble a été inauguré en 2013 sous l’épiscopat de Mgr Turini.
La restauration de la chapelle axiale s’achève en 2019 pour y réinstaller le reliquaire de la Sainte Coiffe relégué jusque−là depuis 1972 dans la chapelle Saint Gausbert sans aucune forme de vénération. Les décors du 19˚ siècle ont été restitués célébrant Charlemagne, Calixte II, personnages du légendaire de la relique. Au−dessus de l’autel un ciborium surmonté d’un baldaquin, le tout redoré, reçoit désormais le reliquaire.
Une nouvelle grille de protection de la chapelle a remplacé l’ancienne table de communion et sera ouverte lors des cérémonies pour une plus forte approche de la relique.
Dans la chapelle nord du chœur un nouveau reliquaire du Bx Alain de Solminihac, d’une esthétique très contemporaine, commandé par Mgr Gaidon à un orfèvre de renom, Goudji, est exposé en permanence.
Par ailleurs un buste en bronze placé dans le jardin au chevet de la cathédrale, œuvre de Délie Duparc, a été solennellement installé et béni par Mgr Laurent Camiade le 9 juin 2018.
Dernier objet du 21e siècle : la « Croix des grandes pauvretés », symbole des êtres humains dans leur grande pauvreté et leur grande espérance.
Enfin une splendide projection sur la coupole est, conçue par Gérard Colin−Thiébaut et B. Tauran, redonne à la nef son unité d’antan.
XIV Conclusion
En conclusion de l’histoire de cette cathédrale, on en retiendra la richesse et le constant renouvellement. Avant elle, les premiers évêques n’ont laissé que des noms, tel Didier. A partir de 1119 ils ont laissé des traces dans la pierre, soucieux de donner à leur église ce qui leur semblait le plus beau, le meilleur quitte à mépriser et à occulter ce que leurs prédécesseurs avaient aimé. Elle est aujourd’hui sous nos yeux le résultat de cette construction permanente qui n’est pas terminée –les belles réalisations contemporaines nous le prouvent – à l’image même de l’Église.
Elle est passée au fil du temps par de tragiques moments d’épreuves et a connu aussi bien des heures de gloire mais l’essentiel est dans les foules qui l’ont remplie et la remplissent encore aujourd’hui, dans la foi au Christ et l’espérance de l’avancée du Royaume de Dieu.
Étienne Baux
Bibliographie
Mireille Bénéjeam−Lere, Cahors et sa cathédrale : architecture et urbanisme à la recherche d’une unité. Thèse de doctorat de l’histoire de l’art, Université de Toulouse−Le Mirail, 1989
Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Cahors, la cathédrale, Lot, par M. Benejeam, A. Bongiu, M. Scelles, M−A Sire, Toulouse 1991
Master Patrimoine 2013, Université de Toulouse−Le Mirail, La Crosse et l’Autel, huit siècles d’art sacré à la cathédrale de Cahors
Patrice Foissac, Cahors au siècle d’or quercinois, 1450−1550, Editions midi−pyrénéennes, 2014
L’ensemble cathédral, 150 ans de restauration par l’État. Exposition réalisée dans le cadre des 900 ans de la cathédrale Saint-Étienne par la Direction du patrimoine de la ville de Cahors, Cahors, 2019
Illustrations
Vue de la cathédrale (image de bannière)
Vue de la nef
Portail nord
Tympan
Visage du Christ
Portail sud
Massif occidental
Décor coupole
Chapelle profonde
Le cloitre
Peinture de la chapelle Saint-Gausbert