« Jean Lucien » Leymarie,
le fabuleux destin d’un enfant de Felzines
Cécile Fontanille, Jean-Michel Rivière
Le nom de Jean Leymarie est peu connu des Lotois car son parcours singulier s’est fait en dehors de son pays natal pour la plus grande partie. Cependant depuis une dizaine d’années, grâce à l’intérêt et la volonté de l’Association gagnacoise « Le CEP » et de M. et Mme Larue que nous remercions tout particulièrement, de la Mairie de Gagnac/Cère puis du service culture de Cauvaldor, sa mémoire a été honorée à deux reprises dans son village natal.
Aujourd’hui, cette journée qui lui est entièrement consacrée nous touche beaucoup, nous remercions vivement tous les organisateurs qui, depuis un an, ont effectué des recherches avec détermination et obstination pour réunir à Cahors, ville où Lucien a fait une partie de ses études, des spécialistes qui vont nous éclairer sur sa personnalité hors du commun.
Lucien Leymarie est né en 1919 à Felzines, un hameau assez isolé au-dessus de Glanes et Gagnac/Cère. La famille est installée à Felzines depuis les années 1850 mais ses aïeuls viennent de hameaux proches (Lavaur Haute la Teulière), ce sont des familles de laboureurs modestes. Il est le cadet d’une famille de trois enfants, Fernand son ainé de 13ans, Philomène son ainée de 10 ans.



avec derrière lui sa sœur Philomène, son frère Fernand,
et ses parents Armand et Aurélie,
devant le commerce qu’ils tenaient alors, à Paris
La vie à Felzines est paysanne et plutôt misérable, la conjugaison du peu de ressources et de mésententes familiales avec les grands parents poussent ses parents Armand et Aurélie à tenter leur chance à Paris accompagnés de leurs enfants vers 1925. Ils ouvrent un petit café Rue Cambon, près de la maison Chanel, hélas les affaires ne sont pas florissantes et si les parents restent encore quelques temps à Paris, Lucien retourne à Felzines auprès de ses grands- parents, il est alors scolarisé à l’Ecole publique de Gagnac.

© famille Leymarie
Il révèle là des facilités pour étudier assez extraordinaires et une sensibilité poétique forte : je me souviens de cette anecdote qu’il m’avait raconté : alors qu’on lui demandait de décrire dans une rédaction la maison de ses rêves il avait rendu un texte dans lequel il imaginait la maison dans laquelle vivaient ses rêves …Ses capacités le distinguent des autres élèves et dès lors il sera encouragé (parfois jalousé !) par les enseignants. Au sortir de l’école il mène une enfance paysanne rude, il faut aider à la petite propriété, il écrira que l’on ne rit pas beaucoup à Felzines, les difficultés financières y sont pour beaucoup, les accès mélancoliques de sa mère aussi. Pas de livres, son grand père lui disait que c’était « pour les seigneurs ». Il y avait de la solidarité dans le hameau et Lucien jusqu’à ses vieux jours était reconnaissant pour la famille voisine les Bieysse qui les avait aidés, la grand-mère Joséphine qui lui avait offert son premier costume.
Ce que l’on peut dire du jeune Lucien qui après une année passée à l’Ecole Primaire Supérieure de Saint- Céré (actuel lycée) et qu’il part pour le lycée Gambetta, nous est connu par la correspondance retrouvée dans les archives familiales.

C’est à la rentrée scolaire 1932-1933 que Lucien arrive au lycée Gambetta, en classe de 5ème1. A l’issue de cette première année, à l’occasion de la traditionnelle remise des prix, le 13 juillet 1933, en plus des félicitations du « Conseil de discipline » du prix d’excellence et de son inscription au « Tableau d’Honneur » il n’obtient pas moins de 7 prix ou accessits dont le 1er prix de Français. Palmarès qu’il améliore l’année suivante, en classe de 4ème en obtenant 9 prix et accessits dont quatre 1er prix, le prix d’excellence, les félicitations du Conseil de discipline et une nouvelle citation au tableau d’honneur.
En classe de 3ème, durant l’année scolaire 1934-1935, cinq 1ers prix pour un palmarès de 12 prix plus « des récompenses pour ses performances en athlétisme ». C’est également cette année-là qu’il obtient le « Certificatd’étudessecondairesdu1erdegré».
Le 12 juillet 1936, le 1er prix lui est attribué en Français, Récitation et diction, Histoire et Géographie, Physique et chimie et Version latine. Le prix d’excellence et l’inscription au tableau d’honneur ainsi que trois « premiers accessits » complètent ce palmarès que nous pourrions qualifier de « banal » en ce qui le concerne.
A noter que, dans cette classe de seconde, il se trouve ex aequo, pour le 2ème accessit du « prix de félicitations » avec un autre brillant élève : René Andrieu. Ils se suivent et s’affrontent depuis la classe de 5ème, obtenant souvent, tour à tour, les principaux prix et accessits de leur classe.

© Amicale des anciens élèves du lycée et du collège Gambetta

© musée de la Résistance
Enfin, le 13 juillet 1938, à l’issue de sa dernière année à Gambetta, en classe de Philosophie, il cumule prix d’excellence, prix du tableau d’honneur, trois 1ers prix et deux accessits, terminant un parcours scolaire remarquable et obtenant également un prix qui me tient particulièrement à cœur : Le « Prix d’Honneur offert par l’Association des Anciens Elèves du Lycée Gambetta ».
Il y a moins de mixité sociale à Gambetta qu’à Saint-Céré et Gagnac, plus tard, comme tant d’autres, il évoquera le sentiment de gêne lié à ses origines paysannes, les manques financiers, les résultats scolaires pour lesquels il ne se sentait pas légitime, il n’osait pas d’ailleurs aller chercher ses prix d’excellence …
S’il découvre d’autres milieux socioculturels il entretient avec sa famille une correspondance très émouvante, respectueuse et attentionnée. Lui qui devient de plus en plus lettré n’a de cesse de s’enquérir de l’état des récoltes et des quelques bêtes, de la météo et ses conséquences, de la fatigue des parents. Plus tard, d’Afrique du Nord où il fait son service militaire, il s’émerveille de la richesse agricole et l’écrit à ses parents.


Peu à peu l’écart se creuse entre l’étudiant brillant qu’il devient et le reste de la famille. Mais Lucien est toujours attentif et soucieux pour eux. Une grande tendresse le lie à sa sœur Philomène qui en 1934 accouche de son premier enfant (6 suivront), il est encore lycéen mais devient « tonton LULU ».
Peu d’effusion entre eux mais une immense reconnaissance de la part de Lucien pour sa sœur, ses encouragements, son soutien moral et financier pour étudier et une admiration sans borne de notre grand- mère pour son petit frère.
Comme cela sera évoqué plus tard c’est grâce à son frère ainé Fernand, électricien à la pointe de cette discipline qu’il rencontrera à Bretenoux totalement par hasard René Huyghe venant chercher des équipements pour le château de Montal. Tout commence pour lui dans ce lieu, le château de Montal dans lequel une sorte de révélation va s’opérer. C’est toujours à Saint Jean Lespinasse en 1944 qu’il épouse Marie Paule, avec René Huyghe pour témoin de mariage, un faire-part exposé au château annonce un apéritif champêtre servi dans une des plus belles demeures du village, la maison Lacaze.

Ce qu’il reste de l’enfance et l’adolescence lotoise de Lucien dans la personnalité publique et l’intellectuel qu’il est devenu se mesure à l’intensité émotionnelle ressentie quand il venait dans son Pays.
Il écrit en 2002 « Je reste lié à Felzines que j’ai vécu pouce à pouce, par toutes les fibres de mon être » Et c’est vrai que chaque retour le remuait profondément, les paysages tout d’abord, les relations d’amitié simples et sincères avec les anciens de Felzines, avec les Lacaze à Saint Jean Lespinasse, l’accueil de la famille si nombreuse restée au Pays.
Chaque venue avait son pèlerinage : Felzines, Carennac, Beaulieu, Montal, celui ou celle qui l’accompagnait puisqu’il n’a jamais conduit, était témoin de ses émotions.
On voyait dans son regard une sorte de sidération à mesurer ce chemin parcouru et il y avait chez lui un instinct terrien très fort. Le personnel de la Villa Médicis qui avait pour particularité d’être recruté dans la même région rurale d’Italie (Les Abruzzes je crois) l’aimait beaucoup pour ces origines paysannes qu’il ne manquait pas de leur rappeler, il y avait un fort respect entre eux.
Annie Ernaux recevant le Prix Nobel de littérature évoquait « l’étonnement devant le mystère que représente un chemin de vie», le contexte au fond n’était pas si différent, partir de peu, arriver au sommet par un travail acharné, une perception puissante de toute chose artistique.
Je conclurai en disant que la vie de Jean Leymarie, aux dépends toutefois d’une vie familiale un peu délaissée, fut viscéralement consacrée à l’art et à la culture. Il avait l’instinct du beau, de la poésie des êtres et des œuvres avec des émotions forgées dans son enfance paysanne et les paysages de son pays natal.
Cécile Fontanille, petite-nièce de Jean Leymarie
Jean-Michel Rivière
Président de l’Amicale des anciens élèves du lycée et du collège Gambetta

