FRÉDÉRIC EMPAYTAZ
Dernier préfet du Lot nommé par le gouvernement de Vichy
(mars à août 1944 )

Contribution d’Étienne BAUX

Après avoir pris connaissance de ce document venu “de l’autre bord” et vivement conseillé sa parution, je me suis vu confier par l’éditeur, Gilles Chevriau, la rédaction d’une postface destinée à insister sur les faits et épisodes spécifiquement lotois de cette brève carrière. Postface agréée par l’éditeur et par Pascal Bouchard qui m’en a remercié.

Il n’en a pas été de même pour l’auteur de la préface qui a formellement exigé que mon texte ne figure pas à la fin de l’ouvrage sous peine de retirer son propre texte. Je l’ai donc retiré pour ne point gêner l’éditeur que je remercie de sa confiance. Voilà pourquoi je le confie aujourd’hui au site de notre Société, laissant à chacun le soin d’apprécier.

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POSTFACE

Le livre de famille de Frédéric Empaytaz nous offre le récit des six mois de sa préfecture dans le Lot. Trente ans après les faits, le préfet écrit dans un évident souci d’auto-justification, toujours meurtri de n’avoir pas été réintégré dans la préfectorale après la Libération. Le but de ces quelques lignes est d’éclairer ce texte, de le confronter avec les acquis de l’histoire et avec d’autres témoignages.

Jusqu’ici on le connaît très peu : c’est le préfet, le préfet de Vichy. L’historiographie de la période lui accorde quelques mots : signes de son effacement, de son impuissance ? Pourquoi pas ?

Deux faits ont pesé sur ses débuts. D’abord sa réception en présence de tous les services du département par son prédécesseur, Loïc Petit qui s’était distingué pendant trois ans par son zèle à appliquer les directives de Vichy, son mépris des notables et sa répression contre les ennemis du régime. Son successeur, très attendu, allait-il suivre le même chemin ? En second lieu on retiendra sa convocation officielle dans un Vichy bien morne où il fut reçu par le Maréchal et Pierre Laval, le 16 mars 1944. Respect et admiration pour l’un et compréhension pour l’autre.

A Cahors, il put s’appuyer sur une équipe assez disparate : un secrétaire général loyal et compétent, Jean Bourrut-Lacouture, un chef de cabinet nommé par Vichy, Michel Borra, œil du ministère sur le préfet. Il pouvait compter sur son sous-préfet de Gourdon, Jacques Bruneau, bien moins sur celui de Figeac, Jacques Alibert, fils d’un ancien Garde des Sceaux de Vichy, isolé et dépassé. Précieux, M. Gay, directeur des services agricoles, fin connaisseur de la société rurale lotoise, Roger Heim, commissaire aux Renseignements généraux qui parcourait le Lot avec sa Simca 5 pour prévenir les maquis d’une attaque de la Gestapo !

S’il a très vite rompu avec la politique de son prédécesseur en libérant les “internés administratifs” et en renouant avec les anciens parlementaires et notables du précédent régime, il se trouva aussi confronté à la réalité de la violence et à son incapacité à la contrôler. Avec Pierre Laborie on distingue une première phase de mars à mai 1944. Elle est marquée par une intense activité des maquis. qui arrivent à tenir des zones entières. Les affrontements avec les Allemands sont exceptionnels tandis que se multiplient les actions contre les miliciens, les collaborateurs actifs. D’audacieux coups de mains sidèrent le préfet : vol de l’argent public, de matériels, de denrées alimentaires, de bétail. Malgré tout, il eut à cœur, souvent piloté par M. Gay, de visiter les principales communes du département comme à Gramat où on lui montra trois jeunes maquisards.

Une seconde phase, du mois de mai au 17 août, se caractérise par l’action armée avec de sanglants affrontements entre les maquis et l’armée allemande. C’est le temps de la terreur et des représailles aveugles. Le préfet assiste impuissant aux épisodes successifs des rafles de Figeac, Bagnac, Latronquière, des massacres de Frayssinet le Gélat, Viazac, Linac, Gabaudet, à l’exécution des otages de Gourdon à Boissières…Le 16 mai il tient à se rendre à Figeac écrasée de silence, à Frayssinet le Gélat le 1er juin où il réconforte les survivants. En juin, les défections se multiplient autour de lui, de plus en plus isolé et privé de tout pouvoir, quand le 10 juin le Lot passe sous l’autorité directe de l’armée allemande. Le pseudo-enlèvement de Jean Malefont lui permet de garder le contact avec ceux de la Résistance ; le 11 août, Robert Dumas, “Paul“, prend ses fonctions de préfet de la Résistance à Alvignac.

Le 17 août au matin les troupes allemandes, 740 hommes (cf Pierre Laborie), quittent Cahors encerclée par les forces de la Résistance sans un coup de feu. L’état-major des FFI en a décidé ainsi, conscient des risques énormes encourus par la population si l’on se réfère à l’affaire de Tulle et aux cent pendus aux balcons de la ville. Son chef, le colonel Georges (Robert Noireau) s’en est défendu plus tard, face à ceux qui lui reprochaient d’avoir évité ce dernier combat, ce qui est parfois qualifié encore aujourd’hui d’erreur tactique. Le préfet s’en est réjoui qui avait essayé d’obtenir une entrevue avec un chef de la Résistance selon le capitaine Marcel, commandant le secteur Sud. Sa dernière initiative ?

Dans “Le temps des partisans“, le colonel Georges écrit avoir signifié au préfet, après l’occupation de la préfecture dans la nuit du 17 août, de quitter la ville avant le jour, ce qu’il aurait fait avec sa famille. Or, le lendemain, il y eut bien passation de pouvoir au préfet Dumas qui entretint avec lui des rapports cordiaux. Il lui aurait même proposé de prendre avec lui la tête du cortège vers le monument aux morts, dans l’après-midi, ce que l’ex-préfet refusa préférant, nous dit-il, s’y rendre dans la foule. Dès lors, devenu citoyen ordinaire, mais toujours dans les appartements préfectoraux, Frédéric Empaytaz se consacre à sa famille, reçoit et fait quelques visites avant de regagner Paris le 13 octobre 1944.

Quel regard in fine porter sur ce préfet, ancien soldat de Verdun, qui jusqu’au bout de son mandat et au-delà, refusa de voir dans le vieux maréchal et son ministre des traîtres à la patrie ? On ne saurait comme lui réduire la politique de Vichy “à des déclarations choquantes et à des faits que je réprouve” faits qu’il impute à “d’abominables pressions” sur ces deux personnages. On mesure là son embarras. Comme sous-préfet de Saint Dizier, avant d’être préfet du Lot, il avait connu et vécu deux ans durant tous les effets de la collaboration pour ne pas en avoir mesuré les conséquences : arrestations arbitraires, STO, rafles des juifs…

Au-delà de ce postulat idéologique, comment définir son action ?

Il a rompu avec celle de son prédécesseur. Il a su rendre à nouveau la préfecture fréquentable avec une série de rencontres passionnantes avec les parlementaires, les maires, les notables qui s’épanchent dans son bureau. Il fait son métier de préfet : audiences, visites, cérémonies dans un esprit de réconciliation au service des Lotois soumis aux privations et de plus en plus aux affrontements entre l’occupant et la Résistance.

Il n’a pas pratiqué le double jeu comme certains de ses collègues : on le saurait car depuis ses débuts il était sous écoute de la Résistance. Il a très mal vécu le passage à l’État milicien, puis au gouvernement militaire allemand qui le privèrent progressivement de tout pouvoir. Il ne saurait revendiquer le titre de préfet résistant, comme il l’a voulu, même s’il a entretenu des rapports suivis avec les maquis, même s’il a mis au tiroir les exigences allemandes sur le STO et la recherche des juifs.

L’historien Jean-Pierre Azéma relève que le nombre de fonctionnaires résistants “c’est-à-dire ceux qui sont entrés en Résistance en tant que fonctionnaires” a été relativement modeste. Beaucoup ont pratiqué une forme de résistance civile, “mélange d’inertie et d’obstruction“. Tel fut le cas du préfet du Lot. Ce n’était pas sans risque. Paul Tuaillon, préfet du Lot et Garonne fut arrêté par la Gestapo “pour refus obstiné de collaborer avec les autorités allemandes“. Alexis Warin, chef de la milice aurait placé le préfet en tête de la liste des otages lotois avant son exécution par la Résistance. En France, 42 préfets, sous-préfets, secrétaires généraux furent déportés, 8 n’en revinrent pas.

Deux témoignages du moment permettent de mieux définir sa position. Le colonel Georges, dans le même ouvrage, affirme “il n’est pas question de prendre des mesures de rétorsion contre lui” et encore “son attitude n’a pas été franchement hostile“. Plus explicite, un article du “Patriote du Sud-Ouest“, journal d’extrême gauche, relate dans sa rubrique Lot en septembre 44, les contacts réguliers entre Robert Dumas et Frédéric Empaytaz : “à tel point que, même sous l’occupation allemande, Cahors vivait sous la loi du maquis“. D’autres témoignages en sa faveur n’ont pas suffi à le maintenir en 1945 dans le corps préfectoral.

Au-delà du parcours personnel de Frédéric Empaytaz et de la description d’un département déchiré, ce témoignage passionné de l’autre bord nous interpelle et nous éclaire sur la complexité des situations et des comportements quand tout bascule en quelques mois.

Étienne Baux