La Révolution française a créé le musée, ce lieu où l’on rassemble des œuvres d’art devenues propriété du peuple et proposées à sa délectation, à son élévation intellectuelle. Qu’en est-il du monument historique ? Cette dénomination, certes encore peu courante, se rencontre déjà. De plus, les musées, dont le premier d’entre eux, le Louvre, sont installés dans des « monuments anciens », le terme le plus en usage au XIXe siècle. Incontestablement, se crée naturellement une dissociation entre le contenant et le contenu. Les musées se développent, leurs collections sont enrichies d’œuvres de provenances très diverses, sorties des monuments où elles étaient conservées ! C’est donc sur une intéressante ambivalence que repose l’étude de cette évolution des musées, de leurs collections, par rapport à celle des monuments historiques, lieux abandonnés à sauver, lieux habités, mais en péril, lieux de culte parfois désertés, vidés de leur mobilier. Hormis quelques period rooms où sont restitués des ensembles mobiliers cohérents, des salles consacrées à la présentation de vestiges architecturaux ou de décors peints de même origine, le musée est un lieu de déambulation, où l’objet d’art, sous vitrine ou non, est présenté seul, pour son intérêt historique, esthétique, technique. Le monument raconte, met en scène une histoire. Celle-ci ne sera jamais complètement la sienne, mais une autre réinventée, constituée de strates, des marques du temps sur des murs rhabillés de tentures, parés de portraits d’ancêtres qui n’y sont jamais venus. L’objet d’art n’est pas au centre du parcours, il participe à sa conception.
De nombreux monuments, châteaux, églises et cathédrales, sous l’impulsion d’une politique forte de protection patrimoniale, grâce aussi dans bien des cas à la passion de mécènes et collectionneurs avisés, nombre de ces lieux ont retrouvé une âme, une autre vie et une autre histoire. Restaurés, remeublés, ils appartiennent désormais à notre patrimoine commun. Leurs problématiques de conservation sont inhérentes à celles de tout monument historique, les « monuments anciens » tels qu’on les nommait au XIXe siècle ! Cependant, les collections qu’ils abritent souvent et la présentation de celles-ci, leurs usages, en font des lieux d’une grande fragilité. Les évolutions climatiques y sont largement perceptibles. C’est un nouveau défi à relever.
Après les mesures de défense passive adoptées avec le succès que l’on sait entre 1939 et 1945 grâce à une longue préparation et une logistique hors norme, le temps est désormais à la défense active dans le domaine patrimonial pour sauver à notre tour ce que nos prédécesseurs nous ont laissé.
L’importance de l’entretien d’un monument : le clos et le couvert
L’observation n’est pas nouvelle : l’entretien régulier d’un monument permet de restreindre les opérations de restauration, lourdes et coûteuses. On ne peut se dispenser ni de l’un ni des autres, seulement contribuer par cet entretien à maintenir un niveau sanitaire correct dans le temps. Les couvertures, les charpentes, les huisseries sont les zones les plus sensibles. Leur surveillance attentive est l’occasion de repérer les points de fragilité et d’y remédier par des interventions mesurées respectant strictement l’intégrité du monument historique.


Entretenir un lieu historique réside aussi dans l’attention portée à ses espaces intérieurs, là encore dans le strict respect des règles aujourd’hui bien mieux connues et dont la connaissance est accessible à toute personne chargée de ces missions au quotidien. Perdre de vieux réflexes « ménagers » est déjà un premier pas ! Qui n’a pas connu cette vigoureuse pratique, l’astiquage au « Mirror » de cuivres brillants comme un sous neuf et discrètement attaqués par ce décapage excessif, ou les couches de cire étalées sur un mobilier encrassé au fil des ans. Un dépoussiérage régulier des lieux (sans oublier les combles !), une aération modérée, une luminosité contrôlée, une hygrométrie vérifiée, représentent déjà une garantie de conservation. Pour autant, il est difficile de tout maîtriser. Nos lieux historiques disposent souvent de collections dont la présentation réalisée cent ans plus tôt avec les meilleures intentions, devient aujourd’hui un facteur de dégradations. Il en est d’ailleurs de même pour les restaurations des bâtiments, de leurs décors, dont les matériaux incompatibles entre eux se dégradent jusqu’à compromettre la stabilité ou l’existence du sujet concerné.
Ces dégradations sont parfois visibles très tardivement, au hasard de travaux offrant l’occasion d’accéder à une partie de l’édifice grâce à la présence d’un échafaudage idéalement placé. A l’intérieur, certains aménagements n’ont pas été modifiés et leur dégradation très lente n’apparaît qu’au moment critique : un chaînage métallique caché sous un enduit, sous un plâtre bien dense, ne laissera voir son oxydation que tardivement. Le fait que nos collections aient, dans leur ensemble, peu connu de mouvements, tant leur présentation appartient de facto à l’histoire du monument a constitué un facteur bénéfique, assurant une acclimatation progressive de leurs matériaux au cours des saisons. Rarement prêtées, car souvent assez méconnues, elles n’ont pas subi non plus ces mouvements nombreux de certaines œuvres. Cette stabilité a un revers justement : des tableaux restés au mur depuis des décennies, dont on ne vérifie pas l’état d’encrassement y compris au dos, les attaques des xylophages sur l’encadrement, la solidité et le comportement du système d’accrochage pour la tenue de l’œuvre.
Particulièrement redoutées, les infestations biologiques, champignons, xylophages et autres créatures se développent dans les milieux favorables que suscitent l’humidité, l’obscurité et la poussière. Les vrillettes grignotent charpentes et mobilier et les mites colonisent tapis et tapisseries. Tous ces facteurs réunis, s’ils ne font pas l’objet d’une attention régulière, conduisent à des contaminations graves mettant en danger nos œuvres. Les monuments historiques ne sont pas des lieux où l’atmosphère est stable, où les collections sont exposées dans des vitrines équipées des matériels assurant la sécurité optimale. Ponctuellement, il est toujours possible de traiter en objet de musée une œuvre spécifique. Ce n’est pas la vocation de nombre de nos monuments où se conservent les traces d’une vie ou de plusieurs souvent…
A nous de mettre en œuvre les réponses les plus adaptées proposées par le monde scientifique attaché à la protection du patrimoine.
Le changement climatique, une réalité pour les monuments et leurs collections
La régularité de l’entretien de nos monuments peut contribuer à limiter certains dommages évoqués ci-dessus, mais dont les manifestations sont désormais plus fréquentes : très fortes variations climatiques, tempêtes répétées, nouvelles infestations. On ne peut que constater les impacts réels de cette évolution climatique. Nos jardins historiques sont, comme tous les autres, touchés par la désastreuse pyrale. Les couvertures de nos monuments ont du mal à résister à la multiplication des coups de vent violents et les pluies abondantes entraînent des infiltrations dangereuses pour les maçonneries, les décors intérieurs. Certains insectes nuisibles prolifèrent et leurs colonies affamées s’invitent de plus beau sur les collections. Les couches picturales des tableaux souffrent des rétractations de leurs supports, toiles ou bois, de même que les fibres des tapisseries ou des textiles d’ameublement.



Comme dans les domaines de la sécurité et de la sûreté, sujets que le monde du patrimoine connaît bien, les moyens de défense se perfectionnent.
La conservation des monuments historiques n’est pas seulement une affaire de culture. Elle bénéficie des travaux de chercheurs, restaurateurs, architectes, conservateurs. Ces professionnels sont au chevet de nos monuments et permettent à notre patrimoine de durer, à nos publics de les admirer. Tous ces investissements, toutes ces pratiques ne sont pas toujours visibles. Nos monuments ont aussi leurs réserves, mettant à l’abri des vestiges d’architecture disponibles pour des études, au repos des tapisseries trop longtemps exposées, saturées de lumière et de poussière. Des questions se posent : faut-il retirer des œuvres originales, dessins, gravures, tout objet aux composants trop fragiles comme le cuir si sensible aux variations climatiques ? La déontologie exige au moins que l’information soit donnée au visiteur. Aborder les choix en matière de conservation patrimoniale est une nécessité, par respect pour le public et par souci pédagogique. Ce qui est expliqué se comprend mieux et se défend mieux !
L’attention due à notre public est essentielle. Elle est le plus souvent payée en retour par un fort sentiment d’appartenance de ce patrimoine à une histoire partagée. Tous les visiteurs ne lui accordent hélas pas les mêmes égards. Les dégradations sur les biens culturels ne sont pas nouvelles et il ne serait pas honnête de jeter l’opprobre sur une génération ou une autre. Le problème n’est pas là…Face à des comportements inaptes, voire dangereux, pour des raisons diverses, y compris idéologiques, on peut justement espérer que l’éducation, la pédagogie seront les réponses à ces dérives. Ce que les défenseurs du patrimoine ont mis en exergue au cours de la Révolution, à commencer par l’abbé Grégoire.
Pascale Thibault
Conservateur du patrimoine
Administrateur des monuments nationaux
Châteaux de Castelnau-Bretenoux, Montal, Assier, Puyguilhem,
Cathédrales de Limoges, Tulle et Cahors.

