Lorsque l’on se plonge dans le parcours de Jean Leymarie (1919-2006) les événements de la Seconde Guerre mondiale apparaissent comme une étape charnière de sa vie. Enfant de paysans du nord du Lot, Jean Leymarie participe à sa façon à la Résistance du Département. Évoluant dans un secteur propice aux actions clandestines, il intègre «par hasard» un groupe de protection des oeuvres d’art, réfugiées au château de Montai C’est la naissance de sa vocation d’historien de l’Art.

René Huyghe et son groupe de résistants à Montai (circa. 7944)
(À la droite R. Huyghe : Jean Leymarie]
© Archives nationales-R30 Montai-20144792/189-20144792/196
I. Historique des groupes « Vény »
Le 22 juin 1940, la France est défaite par les troupes hitlériennes et le territoire est divisé en plusieurs zones. Au nord de la Loire, une zone directement occupée par l’Allemagne nazie et au sud, une zone « non-occupée », administrée par le nouvel «État Français» du maréchal Philippe Pétain (1856-1951).
Dès 1940, des actes de non-consentement émergent en zone dite « non-occupée». Des groupes clandestins se structurent pour rassembler leurs forces dans la lutte contre l’État pétainiste. C’est le cas de Jean Vincent (1883-1958) dit «Colonel Vény» qui met en place les groupes «Froment», spécialisés dans les renseignements. La région de Toulouse (dont le Lot fait partie) est administrée clandestinement par un cadurcien de naissance, Georges Delmas(1890-1967) dit «Drouot». Petit à petit, ce réseau se structure et c’est Henri Collignon (1891-1968) dit «Ceccaldi » qui est chargé d’administrer les groupes «Froment» du Lot’1.
Toutefois, il faut attendre le printemps 1943 pour que les premiers maquis lotois se structurent2 *. Parmi eux, des groupes de Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) surtout actifs dans la région de Gourdon3 ou encore les maquis de l’Armée Secrète (AS) autour de Saint-Céré. En mars 1943, les groupes «Froment» sont rattachés à l’Armée Secrète, de tendance socialiste, afin de contrer l’augmentation des groupes clandestins communistes4. Au meme moment, le maquis « Timo » se structure dans la région de Saint-Céré-Sousceyrac avec à sa tête Henri Montpeyssin5.
En septembre 1943, Raymond Picard, qui administre la section AS lotoîse, encourage la création des groupes « AS-Vény ». Ainsi, les groupes «Vény» se structurent en cinq secteurs sur tout le département du Lot, avec Saint-Céré comme secteur 1.
Cependant, au regard des évènements nationaux et afin de faciliter la coordination des actions de la Résistance du Lot, la fusion des groupes «Vény» et des Francs- Tireurs-ot-Partisans-Français (FTPF) au sein des Forces Françaises de l’intérieur ( FFI) est officialisée à Saint-Céré, le 5 août 1944.

Fusion des maquis lotois dans les FFI du Lot
(5 août 1944, Saint-Céré)
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II. Le soutien des locaux
La Résistance n’a pas pu survivre sans l’aide des locaux. La vie en clandestinité impliquant le silence et la discrétion, les maquisards sont mis au ban de la société. L’accueil et l’aide des paysans sont donc fondamentaux dans l’évolution des groupes clandestins6 *.
Chargés le plus souvent de ravitailler les maquis alentours, dans un contexte de pénuries généralisées, ils prennent de nombreux risques pour parvenir à les aider. Des fermes isolées servent de lieux de rendez-vous, comme chez les époux Astruc à Saint- Jacques-des-Blats (Cantal) ou encore l’hôtel-restaurant Bizat au Gouffre de Padirac7. D’autres participent directement au ravitaillement, comme les époux Bru ou encore la famille Gauzin, installée sur la colline des Césarines (Saint-Céré), qui apportent du lait et du tabac au groupe de Montai.
Au château de Montai, la vie quotidienne est rythmée par l’achat de bétail au marché noir à des paysans locaux. Les animaux sont abattus et débités dans la nuit par les gardiens du château.
«La peau du veau est jetée dans une mare, proche du château. Un jour, un jeune garçon qui avait l’habitude de pêcher dans cette marre, remonte une écrevisse. Le petit garçon est devenu un héros dans le village, car il est rare de sortir des écrevisses des eaux stagnantes8.»
III. Le groupe de Montai
Au printemps 1943, René Huyghe9 (1906-1997) et Roger Guth mettent en place un réseau de résistance au sein du Château de Montai. Grâce à l’appui de nombreux soutiens tels que Robert Noireau (1912-1999)10et l’État-major des groupes «Vény », le réseau se structure et compte près de cinquante membres en juin 194411‘.
Parmi les actions menées par ce réseau, l’aide aux Alsaciens-Lorrains déserteurs de la Wehrmacht est la plus considérable. En effet, ces derniers sont dissimulés au sein du personnel des gardiens des œuvres d’art et participent à la fabrication de faux papiers grâce à l’aide du secrétaire de la mairie de Saint-Jean-Lespinasse, M. Camperos.
Selon Robert Noireau, un accrochage a eu lieu entre le groupe de Montai et des éléments de la sinistre division SS « Das Reich » qui passait sur la route en contrebas12 Cet événement, sorte de « baptême du feu », aurait encouragé le groupe à participer à la Libération de Cahors, le 17 août 1944.

René Huyghe et son groupe de protection des œuvres à Montai
(circa. 1944) [À la gauche de R. Huyghe : Jean Leymarie]
© Archives nationales-R30 Montai-20144792/189-20144792/196
IV. Leymarie, une résistance selon « son tempérament »
L’entrée en Résistance de Jean Leymarie, coïncidence fortuite, mérite d’être racontée. Le 2 août 1943, alors que René Huyghe se rend à Bretenoux dans le but d’acheter une cuisinière électrique, il rencontre Fernand Leymarie, le frère de Jean, électricien de profession, qui lui propose une cuisinière. Jean Leymarie en profite pour proposer ses services à Huyghe qui accepte sans hésiter. Leymarie se retrouve alors engagé comme «équipier» à Montai sous le nom de «Vincent»13 .
Arrivé au château de Montai, Leymarie connaît une véritable vocation. Malgré l’horreur de la Guerre, entouré des plus belles oeuvres du musée du Louvre, il participe au cours d’Histoire de l’Art dispensés par René Huyghe au sein du château. Ces «chômeurs intellectuels»14 profitent de cette situation unique pour étudier au plus près l’Art. Grâce à ses relations avec les élites parisiennes, Huyghe parvient à faire entrer Leymarie à l’École du Louvre en avril 1944.
« Un de mes « travailleurs intellectuels » de Montai qui est un sujet fort brillant et fort méritant vient d’achever sa licence d’enseignement. [,„] Il désirerait entrer à l’école du Louvre […] MM. Jaujard et Aubert sont d’accord pour l’admettre exceptionnellement malgré la date tardive.,.Accepteriez-vous de me prêter votre cours de cette année afin que je le lui communique ?15 »
La carrière de Leymarie est lancée. Il devient par la suite chef de dépôt à la maison « Bournazel » de Vayrac. Aidé par Hélène Vinès, responsable administrative des dépôts de Bétaille et de Vayrac, il doit surveiller 76 caisses pour un total de 1 392 peintures. Parmi elles, La Maison du pendu, Auvers-sur-Oise de Cézanne ou encore le Portrait de Baldassare Castiglionede Raphaël.
V. Des vies parallèles
Simultanément au parcours atypique de Jean Leymarie, l’un de ses camarades se distingue, également, dans la Résistance lotoise. Enfant de cultivateur et interne au lycée Gambetta avec Leymarie, René Andrieu (1920-1998) devient un acteur de la Résistance communiste. Il entre en clandestinité sous le nom de « Capitaine Alain » en novembre 1942. Il participe à la Libération du Lot comme adjoint de Robert Noireau qui le nomme commandant de la place de Cahors et président du Tribunal militaire. Chargé de juger les principaux collaborateurs du Département, ce tribunal siège à cinq reprises entre septembre et décembre 1944 dans la cité cadurcienne. Après la Guerre, Andrieu devient journaliste. En mai 1958, il devient rédacteur en chef du journal l’Humanité jusqu’en 198516.

© Asso. MRDL46-12AP58
Enzo Delpech et Charlotte Leroy
Chargés de recherches et de médiation
Direction du Patrimoine – Ville de Cahors
1 PICARD, Raymond, CHAUSSADE, Jean, Ombres et espérances en Quercy (1940-1945). Les groupes Armée Secrète Vény dans leurs secteurs du Lot, Toulouse, Privat, 1980, pp. 48-61.
2 LABORIE, Pierre, Résistants Vichyssois et autres. L’évolution de l’opinion et des comportements dans le Lot entre 1939 et 1944, Paris, CNRS, 1980, pp. 286-291.
3 Nous pensons ici au « maquis de la Melve » actif autour du Vigan.
4 Comprendre ici les Francs-Tireurs-et-Partisans-Français (FTPF).
5 Le maquis «Timo» à l’origine du vol de plus de sept tonnes de vêtements aux Chantiers de la Jeunesse de Maurs (Cantal) et de la libération de trois réfractaires à la prison de Saint- Mamet-la-Salvetat (Cantal).
6 VERDET, Anne, La logique du non-consentement. Sa genèse, son affirmation sous /’Occupation, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
7 PICARD, Raymond, CHAUSSADE, Jean, Ombres et espérances en Quercy (1940-1945). Les groupes Armée Secrète Vény dans leurs secteurs du Lot, op. cit., pp. 77-66.
8 Témoignage de Roger Guth au musée du Louvre (5 octobre 2000)- Association du musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération du Lot.
9 René Huyghe entre dans la Résistance vers le mois de décembre 1942 au sein du Front National communiste, où il prend le pseudonyme de « Géricault ». En juin 1944, son groupe est d’abord affilié aux « Vény » avant de passer aux FTPF au mois d’août 1944. En septembre 1946, René Huyghe obtient la Légion d’Honneur pour ses services rendus à la Résistance française.
10 Robert Noireau dit « Colonel Georges » commande les maquis du Lot, réunis au sein des FFI.
11 Archives nationales- R30 Montai-20144792/191.
12 NOIREAU, Robert, Le temps des partisans, Paris, Flammarion, 1978, pp. 149-152.
13 Témoignage de Jean Leymarie dans le documentaire “La Guerre du Louvre” de Jean-Claude Bringuier (2000), 52 min.
14 Personnels du dépôt de Montai : Archives nationales – 20144792/195
15 Dossier individuel de Jean Leymarie : Archives nationales – 20144792/195
16 Association du musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération du Lot-12 AP.